Terroristes, je vous emmerde

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Au début, je voulais intituler ce billet « des mots qui tiennent chaud ». Je voulais vous parler de liberté, de fraternité, vous dire que nous serions fort ensemble, vous envoyer de l’amour et de la douceur en réponse à la sauvagerie, j’aurais voulu être forte, pour vous, pour ma famille, dompter ma peur et vous parler de la France que j’aime, comme je l’avais fait en janvier. Mais la vérité, c’est que je n’y arrive pas.

Comme beaucoup d’entre vous, j’ai encore le ventre noué, un poids sur la poitrine, le cœur au bord des lèvres. Je pense avec une insondable tristesse à ceux qui n’étreindront plus ceux qu’ils aiment que pour leur dire au revoir. Je pense avec un sentiment plus indescriptible encore à ces enfants à qui l’on va devoir expliquer que Papa, ou Maman, ne reviendront pas, ne reviendront jamais – une tristesse qui me coupe le souffle, me donne l’impression d’être liquide d’un mélange de rage et de peine.

Depuis vendredi, j’ai cette sensation d’être sur un ring de boxe sans issue, comme assommée. A la question, « ça va ? », que la boulangère, les amis, les gens dans la rue qu’on croisait seulement et à qui maintenant on parle, je réponds « oui, ça va », avec ce sourire un peu bizarre, un peu soulagé mais désolé qui veut dire « je n’ai perdu personne, alors oui, ça va ». Parce que c’est un miracle, un putain de miracle, de ne pas avoir d’amis proches dans cette liste si triste. Mais des amis d’amis, ça oui, et puis c’était pas nous, mais c’était nous quand même – alors non, ça ne va pas, vraiment pas. Titiou Lecoq en parle avec des mots tellement justes dans son article « C’était pas moi« , allez le lire, ça fait du bien, on se sent moins seule.

Et puis il y a le quotidien. Je ne sais pas si je vous l’ai dit, mais ces points rouges sur la carte du JT, c’est mon quartier. Je connais chaque trottoir, chaque angle de rue, les commerçants, la bonne boulangerie, la moins bonne mais ça va quand même quand l’autre est fermée, Valérie, la fleuriste du Franprix qui a toujours de superbes roses, les bentos du Petit Cambodge pour les soirs de flemme, la terrasse du Carillon où on a si souvent pris des bières avec les potes, avant d’être des parents casaniers. Le Bataclan, à 200 mètres de chez moi, je n’aime pas trop les concerts, mais j’aime bien cette architecture un peu kitsch, et puis en même temps je passe devant tellement souvent que je n’y faisait plus attention. Mon quartier à moi, le Paris de mon coeur, s’est transformé en mausolée slash plateau de télé à ciel ouvert. Difficile d’en faire abstraction.

Est-ce que j’ai peur ? Bien sûr que j’ai peur, qu’est-ce tu crois ? 129 personnes ont été massacrées à quelques pas de mon domicile, ne pas avoir peur serait inhumain ! Et cette angoisse, quand je l’écoute, pénètre au plus profond, me glace les os, me pétrifie. Un mélange toxique fait d’effroi, de colère et d’impuissance. Oui, j’ai peur, et s’ils s’en prennent à mon fils, à son père l’amour de ma vie, à mes proches, à mes amis, je serai folle de rage et de douleur. Je me taperai la tête contre tous les murs de ma pensée, je hurlerai sans voix, et je pleurerai sans larme parce qu’aucune larme ne saurait contenir cette peine là. Une partie de moi mourrait probablement avec eux, et le simple fait d’écrire cette possibilité me tord les boyaux. Oui, « ils » ont ma peur.

Mais je sais aussi qu’alors, chaque éclat de rire, chaque petite étincelle de joie, chaque moment savouré, chaque parcelle de bonheur arrachée à la vie deviendrait un défi à leur entreprise de mort. Boire un verre de vin, battre le pavé parisien au rythme d’une musique que j’aime (probablement ABBA, tant qu’à vivre dangereusement autant assumer ses goûts douteux), s’émouvoir devant la beauté, sous toutes ses formes, rire de tout (mais pas avec n’importe qui), dépenser trop, faire l’amour, prendre entrée-plat-dessert, dire « je t’aime », prendre le soleil en terrasse en plein mois de novembre parce qu’il faut bien qu’il y ait des avantages au réchauffement climatique, porter des talons qui font mal aux pieds mais c’est plus joli, envoyer des cartes aux gens que j’aime juste pour leur dire que je les aime… Chaque acte de joie deviendrait un acte de résistance. Pour ne pas donner cette victoire là à ceux qui professent une telle haine de la joie.

Et vous savez quoi ? En fait, je vais commencer la résistance, sans attendre, pour tous ceux qui ne sont pas rentrés ce soir là. Ils ont ma peur, mais ils n’auront pas ma haine, moi non plus – au mieux, mon mépris. Non, j’ai bien trop à faire; j’ai bien trop à vivre, là, maintenant, tout de suite.

Donc, vous vouliez nous faire peur ? Bravo, c’est gagné. Vous avez juste oublié un détail: les Français sont un peuple d’emmerdeurs, et les emmerdeurs sont coriaces comme des tâches de vin rouge. La peur au ventre, ils continueront à se foutre de vous, à boire, à rire, à fumer, à faire l’amour, à être libres, ces emmerdeurs là. Les mecs, vous n’avez aucune chance contre ce genre d’emmerdeurs.

Terroristes, je vous emmerde, et je compte continuer longtemps.

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24 Commentaires

  1. Méa
    19 novembre 2015 at 00:07

    J’aime bien quand tu dis des gros mots <3

    J'ose imaginer ta peur, vivre à 200m…. ca a du être terrifiant :( :(

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    1. La Fiancee du Panda
      26 novembre 2015 at 16:32

      Merci Méa. On a eu la chance de ne pas être là quand c’est arrivé (on est passés en voiture 20 minutes avant devant le Bataclan), mais oui, c’est très présent… Je n’ose pas imaginer ceux l’ont vécu de près…

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  2. Emilie
    19 novembre 2015 at 00:17

    Yes!!!
    (et moi aussi j’écoute ABBA, et j’assume !)

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    1. fanfan b.
      19 novembre 2015 at 04:41

      Merci c brillant et cela resume bien ce que je ressens j ai mal oui j ai peur oui j les emmerde avec ttes mes forces de parisienne en rage mais debout je serre ds mes bras tendrement ts les personnes dt la vie a basculer a tt jamais je vous aime. Quant a eux….je ne trouve pas de mots qui traduisent mon dégoût mais oui je les emmerde

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    2. La Fiancee du Panda
      26 novembre 2015 at 16:37

      Haha ABBA c’est la vie !! Dans tous les sens du terme… montons le son ♡

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  3. Cecile
    19 novembre 2015 at 07:33

    Parce que moi aussi je les emmerde, depuis samedi c’est jupe, talons et maquillage au top tous les matins. Mais ce matin, après ce message, le fucking mascara pas waterproof du tout, c’était pas une bonne idée. Allez, pas grave, ça me fait des yeux de Pandette…

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    1. La Fiancee du Panda
      26 novembre 2015 at 16:51

      Bravo Cécile !!! Moi aussi, j’ai envie plus que jamais de rouge à lèvres, de jupes et de féminité. Tout ce qu’ils veulent nier et qui sous des dehors futiles fait partie d’une liberté chèrement acquise… Rappelons nous à quelle point elle est précieuse et chérissons la !

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  4. aline
    19 novembre 2015 at 08:36

    Des bons mots qui font du bien!
    Moi aussi, j’ai peur et mal… J’ai eu des frayeurs pour des proches…
    Mais je ne vais pas rester en boule dans mon canapé toute ma vie… (enfin, là tout de suite, j’y suis avec mon café! ^^ mais tout à l’heure, je vais m’habiller… ^^)

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  5. jennifer
    19 novembre 2015 at 08:55

    Merci pour ce texte très juste, de même que celui de Titiou Lecoq, qui nous font tous les deux un grand bien. « Les emmerdeurs sont coriaces comme des tâches de vin rouge », et ce vin rouge on va continuer à aller le boire en terrasse.

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  6. Chene
    19 novembre 2015 at 09:12

    Une nouvelle fois un billet superbement bien écrit qui résume ce que la plupart des français ressentent (même ceux qui vivent à la campagne comme moi….).
    Et tu as même réussi à me faire sourire….
    Je t’embrasse

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  7. Nathalie Moreno
    19 novembre 2015 at 09:24

    Même si parfois j’ai la trouille au ventre, j’ai envie d’aimer encore plus fort, de rêver encore plus grand et de leur dire un énorme merde !!!

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  8. Marion
    19 novembre 2015 at 09:30

    Merci. C’est beau, c’est juste, c’est mettre des mots sur ce que je ressens aussi (même si je suis beaucoup, beaucoup plus loin géographiquement des lieux). Et si ABBA c’est un goût douteux, j’en ai plein du même acabit alors.

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  9. Esther
    19 novembre 2015 at 10:37

    Merci pour ce texte qui sonne juste. (je kiffe tellement ABBA)
    De mon côté j’ai longuement hésité avant d’écrire là-dessus, puis j’ai finalement mis en ligne un texte ce matin. Il le fallait.
    Belle journée, des bises à paillettes

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  10. Mathilde
    19 novembre 2015 at 11:35

    Merci Maëlis, tu as su encore une fois trouver les mots… Mots que je n’arrive pas à écrire, trop d’émotions, contradictoires parfois. Heureusement nos enfant sont là, nous font sourire, rire même! Ma petite Alice me protège en m’empêchant de (trop) regarder la tv, écouter la radio ou lire les articles en ligne. Nous nous devons d’être fort pour eux, de garder notre optimisme et notre joie de vivre, notre bonheur à la française! Alors merci de tes mots, ils sont réconfortants!

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  11. elisa
    19 novembre 2015 at 12:13

    yeahh emmerdons les !!! moi aussi j’ai eu besoin d’un peu de temps mais maintenant…

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  12. Clo
    19 novembre 2015 at 13:09

    Bravo à toi Maëlis pour tes mots si justes, comme à ton habitude. Tes paroles sont fortes de bon sens, et je te suis à 100 % !
    Bises à toi et ta petite famille :)

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  13. Lorelei
    19 novembre 2015 at 13:21

    ton texte me touche énormément, comme tout ce que je lis depuis samedi….
    c’est dur de refaire surface….
    gros bisous <3

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  14. Sarah, Les Jolis Mondes
    19 novembre 2015 at 15:07

    Merci Maëlis. Merci d’avoir pris le temps de poser ces mots sur ton clavier. Merci de dire que tu as peur et merci de dire que tu ne te laisseras pas paralyser par cette peur. Je l’aime moi, mon pays d’emmerdeurs en tous genres, et je ne laisserai pas une bande de fous me retirer ça, bien au contraire. Coeur avec les pattes, comme tu le dis si souvent :)

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  15. rely
    19 novembre 2015 at 15:43

    « terroristes, je vous emmerde, fuck you very much »
    « ils n’auront pas ma haine »

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  16. Carole
    19 novembre 2015 at 16:22

    Moi aussi j’ai écouté Abba lundi matin en allant au bureau, en reprenant une vie normale !
    Merci pour ces mots justes ! La peur restera mais nous aussi, on reste là avec nos vies, nos perversions et nos habitudes d’emmerdeurs !!!
    Allez à la tienne, c’est l’heure du beaujolais nouveau ;)

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  17. Etourneau
    19 novembre 2015 at 18:35

    Oui on les emmerdera jusqu’à la fin ! Bien dit !

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  18. Laura
    19 novembre 2015 at 19:15

    BRAVO !!! Merci pour cet article ! Moî aussi j ai peur je ressent les choses de la meme façons.. Mais aujourdhui je me suis dis qu il fallait que je reprenne du poil de la bête.. Ton article me fais du bien !

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  19. GoodMoon
    20 novembre 2015 at 10:15

    Très bel article, très vrai. Nous sommes tous encore choqués et c’est impossible de ne pas y penser. Nous les emmerderons jusqu’à la fin. xx

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  20. Caroline
    22 novembre 2015 at 20:29

    Voilà que je prends le temps de lire ton article … Il est très émouvant, tellement réaliste. Je voudrais tellement arriver à penser ainsi malgré cette peur qui me tord les boyaux. Plein de bisous et merci pour ces mots <3

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